L’arrestation en février 2021 de Veljko Belivuk, alias Velja « Nevolja », a secoué toute la Serbie. D’une part, les liens entre crime organisé et tribunes serbes ont fait leur retour. D’autre part, elle a dévoilé l’étroite collaboration des ultras avec l’État, notamment le Président Aleksandar Vucic.

À l’origine, Veljko Belivuk est issu des « United Force 87 », le groupe ultra du Rad Beograd. Membre du clan mafieux monténégrin de Kavac, « Nevolja » est arrêté en février dernier dans les locaux du Partizan. Il est accusé de meurtres, actes de tortures, et trafic de drogue.

  • L’armée de janissaires

À la suite du décès de Brice Taton le 29 septembre 2009, les « Grobari » se déchirent. Les principaux leaders du groupe, coupables d’avoir frappé à mort le supporter toulousain, sont arrêtés un par un. La faction la plus influente, Alcatraz, s’enlise dans une guerre avec les émergents « Zabranjeni » (les interdits, ndlr). Ivan Perovic, supporter âgé de 20 ans, meurt de ces affrontements en 2011. C’est dans ce contexte que naissent, en 2013, les “Janjicari”, dont le nom fait référence à l’armée d’esclaves arrachés de leur famille sous l’Empire Ottoman. Il est formé par Veljko Belivuk, accompagné d’Aleksandar Stankovic, dit « Sale Mutavi ». Bien que ce dernier soit un habitué de la tribune « sever » de l’Etoile Rouge, c’est un ami de longue date de Belivuk, qui est également lié au clan Kavac. Tous deux ont l’appui de Nenad Vuckovic « Vucko », officier de la gendarmerie serbe. Le 8 novembre 2013, les trois hommes se fondent pour la première fois parmi les Grobari, et assistent au match de basket opposant le Partizan à Fenerbahçe.

De gauche à droite : « Sale Mutavi », Nenad Vuckovic « Vucko », et Veljko Belivuk lors de Partizan-Fenerbahçe, le 8 décembre 2013 (KRIK)

Les “Janjicari” se joignent à une guerre des tribunes qui prend une nouvelle dimension. La tribune sud en possession d' »Alcatraz » tombe rapidement en main des “Janjicari”. Belivuk, « Mutavi » et « Vucko » s’attaquent ensuite à la direction « crno-beli », en tentant d’agresser le directeur général du Partizan, Milos Vazura, au printemps 2016. Si c’est le garde du corps de Vazura qui essuit les coups, les trois hommes réussissent à affirmer leur puissance vis-à-vis des autres factions. D’autant que « Vucko » siège au conseil d’administration du club. Quelques mois plus tard, « Sale Mutavi » est assassiné dans les rues de Belgrade lors d’un règlement de compte. C’en est fini des “Janjicari”, qui deviennent “Principi”, toujours sous l’égide d’un Belivuk déterminé à poursuivre sa guerre intestine.

En novembre 2019, Ljubomir Markovic, l’un des chefs d’Alcatraz, tombe dans les rues de Belgrade. Des enquêteurs attribuent ce meurtre au clan Nevoja. Face caméra, ce dernier s’amuse à intimider le leader des « Partizanovci », section nouvellement formée et issue d’une profonde division avec Alcatraz. Une pression qui va les pousser à se retirer du JNA Stadion. « Ce stade n’est plus un endroit pour les supporters du Partizan », pouvait-on lire sur leur banderole déployée pendant Partizan – Astana en décembre 2019. L’ascension de Veljko Belivuk est stoppée nette lorsque, le 4 février 2021, il est arrêté avec seize “Principi”. La police locale découvre, stupéfaite, un “bunker” dans les locaux du Partizan, où sont entreposées de nombreuses armes. Vladimir Vuletic, ex vice-président du club, a affirmé pour la KRIK qu’il s’agissait d’un restaurant inoccupé. En sept ans, Belivuk s’est fait une place forte au sein des « Grobari », tout en inspirant la terreur au sein de la direction « crno-beli ».

Images du 156ème Veciti Derbi, où des affrontements ont eu lieu au sein des Grobari (Telegraf)

« Le chef a un gros problème »

La connexion entre la criminalité et le pouvoir serbe était supposée depuis plusieurs années. Un évènement a particulièrement marqué les esprits. Le 17 juin 2018, la Serbie affronte le Costa Rica lors du Mondial en Russie. En tribunes, des milliers de Serbes sont présents. Parmi eux : le fils du président de la République, Danilo Vucic. Une présence anecdotique, à ceci près qu’il était entouré de “Principi”. Parmi eux : Aleksandar Vidojevic, membre du clan de Kavac. En Serbie, une question se pose : comment le fils du président peut s’entourer de criminels ?  

La réponse à cette question, Belivuk la donne lors d’une audience le 4 juillet dernier. La KRIK (Crime and Corruption Reporting Network, ndlr) rapporte qu’il y a dévoilé sa coopération avec l’homme le plus puissant de Serbie : Aleksandar Vucic. “Vucic m’a demandé divers services”, énonce-il. Lorsqu’en 2017, Vidojevic se présente à Belivuk comme le lien privilégié avec le président serbe, il est question des Grobari.

« Vidojevic m’a dit que le chef, comme nous appelions Vucic, avait un gros problème avec la tribune du Partizan. L’idée était de créer une nouvelle faction qui unirait tout cela pour que la situation soit la même que dans le stade de l’Etoile Rouge. […] Nous l’avons fait. » 

Danilo Vucic, entouré en rouge, accompagné d’Aleksandar Vidojevic, entouré en jaune à droite (Associated Press)

Il faut comprendre que depuis son mandat au ministère de l’Intérieur, Vucic a fait de la lutte contre le hooliganisme une priorité, dans un but principalement sécuritaire. L’objectif derrière la création d’une faction est de “pacifier” des “Grobari” qui se livrent une guerre sanglante. D’ailleurs, le groupe ultra n’a jamais caché son hostilité envers le régime Vucic, l’insultant copieusement en tribunes.

Belivuk, initialement anti-Vucic, s’est ainsi lié à l’homme le plus puissant du pays pour le défendre, profitant ainsi d’une forme de protection étatique. Il était ainsi chargé d’intimider tous ceux qui protestent contre le président, sa famille, ou son parti politique. Lui qui a toujours vu d’un mauvais œil quelconque opposition à son égard.

Les relations entre Aleksandar Vucic et les hooligans dépassent le simple cadre des tribunes. Lors de l’investiture du Président serbe le 31 mai 2017, des proches de « Sale Mutavi » sont aperçus en train d’expulser journalistes et opposants du régime. Pendant l’été 2020, ils utilisent des engins pyrotechniques pour dissuader la population de protester contre le régime Vucic. Et lorsque cette dernière descend dans les rues de Belgrade, ces mêmes hooligans sont filmés par la KRIK aux abords de l’Assemblée Nationale pour assurer la sécurité aux alentours. Que ce soit pour son fils, ou pour lui-même, Aleksandar Vucic a toujours nié être lié à des « hools » et des criminels. Il se défend aussi de toutes les accusations portées par Belivuk.

  • Protection de l’Intérieur

Cette connivence entre hooligans et pouvoir se couple avec une protection venue du ministère de l’Intérieur. Quelques mois après l’arrestation de Belivuk, les tabloïds serbes pointent la responsabilité de Dijana Hrkalovic. Décrite comme la femme la plus puissante de la police serbe, elle a été secrétaire d’Etat au ministère de l’Intérieur jusqu’à sa démission en 2019. Pendant des années, Hrkalovic a entrenu une relation affective avec Nenad Vuckovic, lui-même lié avec “Sale Mutavi” et Belivuk. Un mariage explosif qui a corrompu bon nombre de fois des enquêtes liées au clan Kavac.

Dijana Hrkalovic (MUP)

Ainsi, lorsqu’en 2018 le syndicat de police ordonne à Hrkalovic d’enquêter sur les liens présumés de « Vucko » avec le Partizan, aucune investigation ne fut diligentée. La justice a fait les frais de cette protection à deux reprises. D’abord en 2017, lorsque le parquet de Pancevo est contraint de suspendre une procédure liée au trio, qui a eu la permission de se rendre dans un stand de tir militaire. Des preuves telles… que des enregistrements vidéos, ont mystérieusement disparu. Ensuite, en 2018, Belivuk est acquitté d’un meurtre, l’ADN retrouvé sur le lieu du crime ayant été exclu de l’enquête. Enfin, les enquêtes concernant les activités du clan Kavac ont traîné en longueur, la majorité des personnes arrêtées ayant été relâchées par la police.

En moins de dix ans, un trafiquant de drogue quelconque est devenu l’homme le plus craint de Serbie. Profitant du tapis rouge déroulé par Aleksandar Vucic, Belivuk a tenu les ultras du Partizan, lui donnant un poids important dans le monde de la criminalité. Si Etat et mafia sont éthiquement opposés, ils se sont trouvés un intérêt commun dans le contrôle des tribunes.

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