- LA VOLONTE DE DOUZE CLUBS DE CREER UNE SUPERLIGUE EUROPÉENNE A FAIT L’EFFET D’UNE BOMBE DANS LE MONDE DU FOOTBALL. IMPLICITEMENT, ELLE RELANCE L’IDÉE DE COMPETITIONS RÉGIONALES, DONT LE MONDE BALKANIQUE PARLE DEPUIS PLUSIEURS ANNEES. EST-CE REALISABLE, EST-CE SOUHAITABLE ? FUDBALSKI HRAM Y RÉPOND.
« J’ai entendu dire que les Scandinaves, les Balkans et le Benelux, veulent faire une ligue. Ils veulent changer, parce que le football meurt ». Ces mots sont ceux de Florentino Perez, dans l’émission « El Chiringuito », il y a un mois, pour justifier la création d’une SuperLigue. Le président du Real Madrid fait fausse route : l’idée d’une ligue régionale balkanique, bien qu’argumentée, est loin de faire l’unanimité.
La faiblesse des championnats locaux
Le manque de compétitivité des championnats de la région pousse en faveur d’une telle réforme. Il est loin le temps où la division Yougoslave était l’une des plus disputées d’Europe. Dont les résultats figuraient dans les dernières pages de “France Football”.
Désormais, seule une poignée de clubs domine les ligues issues de l’explosion de la république socialiste. En Serbie, le FK Obilic peut se targuer d’être le dernier à avoir dominé le Partizan et l’Étoile Rouge, c’était en 1998. Depuis, le club anciennement dirigé par “Arkan” est tombé dans les divisions inférieures, tandis que les deux géants du pays se sont partagés les 22 derniers titres. En Croatie, le Dinamo Zagreb a remporté 19 titres sur la même période.
Ce manque de concurrence se couple à une fragilité économique. En effet, les revenus issus du sponsoring sont dérisoires en comparaison aux locomotives européennes. À titre d’exemple, la SuperLiga Srbije a signé en 2019 un contrat de sponsoring avec la marque de pneus chinoise « LingLong Tire ». La valeur du contrat s’élève à 1,4 million d’euros sur trois ans. On est très loin des 15 millions d’euros que touche actuellement la Ligue 1 à travers son contrat avec « Uber Eats ». La grande majorité des clubs serbes sont déficitaires, et les deux géants du pays ne font pas exception. Selon des estimations de l’Agence de Registre des Entreprises en août 2020, l’Étoile Rouge et le Partizan sont endettés à hauteur de 30 millions d’euros. Que dire des plus petits qui, faute de liquidités, finissent par s’écrouler. Pensons à l’OFK Beograd, autrefois 3ème club de la capitale, qui évolue actuellement en troisième division.
Les formations ex-yougoslaves profitent tout de même de leurs capacités de formation. Selon un rapport du CIES en octobre 2020, le Partizan est l’équipe qui exporte le plus de joueurs en Europe. Quatre clubs serbes, et deux croates, figurent dans le Top 15 de ce classement. Selon Ivica Iliev, ancien DG du Partizan, le club de la capitale serbe a vendu pour 61 millions d’euros entre 2015 et 2019, dont 36 millions avec des joueurs formés au club.
En tête d’affiche, les transferts de Strahinja Pavlovic à Monaco (10 millions d’€), Filip Stevanovic à Manchester City (8,5 millions d’€), ou encore Nikola Milenkovic à la Fiorentina (5,1 millions d’€). Un exode massif des jeunes, qui se fait de plus en plus tôt, au détriment d’une politique sportive.

De ce constat, on peut établir les trois objectifs d’une ligue régionale. Le premier : retrouver de la concurrence et de la compétitivité dans des championnats à deux vitesses. Le second : diversifier ses revenus, pour gagner en stabilité économique. Le troisième : espérer conserver plus longtemps les jeunes pousses, et attirer de meilleurs joueurs.
La question du contexte régional
Toutefois, la mise en place d’une telle compétition se heurte à un frein majeur. Sans même évoquer la place des plus petites équipes, il faut souligner les tensions existantes dans les Balkans. Une trentaine d’années après les guerres en ex-Yougoslavie, les blessures sont loin d’être refermées. Si les rivalités entre groupes ultras existaient du temps de Tito, elles ont été exacerbées à l’approche du conflit. Le monde entier a assisté aux affrontements entre les Bad Blue Boys du Dinamo Zagreb, et les Delije de l’Étoile Rouge, le 13 mai 1990. Citons également la rencontre entre le Hajduk Split et le Partizan le 26 septembre 1990, lorsque la “Torcida” rentre sur le terrain, et brûle le drapeau yougoslave étendu. Depuis, les groupes ultras de la région se sont largement politisés, et n’hésitent pas à montrer leur nationalisme. Par exemple, en août 2020, une photo des Bad Blue Boys a scandalisé la région. La raison ? Une banderole sur laquelle était inscrite : « nous bai*ons les femmes et les enfants serbes », le tout accompagné du U, symbole oustachi.

Ainsi, la peur de conflits entre groupes de supporters est légitime, et est la principale source d’inquiétude. En juillet 2007, des affrontements ont opposé les ultras du Zrinjski Mostar, le club « croate » de la ville bosnienne, à ceux du Partizan dans le cadre des qualifications en Coupe UEFA. En conséquence, l’instance européenne a exclu les deux équipes de toutes ses compétitions pendant un an. Pour éviter ce genre d’évènements, l’association a introduit une règle pour que les clubs serbes, bosniens et croates ne se rencontrent pas lors des qualifications. Depuis, elle a été abolie.
Les relations diplomatiques entre pays peuvent aussi avoir une répercussion sur la compétition, et menacer son intégrité. La Ligue Adriatique de Basket, citée comme modèle à reproduire pour le football balkanique, a été le théâtre d’un événement surréaliste en décembre 2019. L’Etoile Rouge a refusé de se déplacer sur le parquet du Buducnost Podgorica au Monténégro. La raison ? Le vote d’une loi discriminante à l’égard de l’église orthodoxe serbe du Monténégro, critiquée en Serbie, et qui a provoqué de fortes tensions au Monténégro.
Zvezdan Terzic, le président de l’Étoile Rouge, propose une alternative. Au lieu d’une ligue réunissant les clubs ex-yougoslaves, pourquoi ne pas se tourner vers les voisins hongrois, roumains, et bulgares ? Les spécificités de la région freinent cette proposition. Est-il nécessaire de rappeler que les relations entre Roumains et Hongrois sont mauvaises ? Ces derniers, sous l’œil avisé du président Viktor Orban, utilisent le football pour mobiliser leur diaspora et promouvoir le nationalisme hongrois. Les investissements dans des clubs comme le Sepsi Sfântu Gheorghe en Roumanie, ou encore le TSC Backa Topola en Serbie, sont vus d’un très mauvais œil dans les pays concernés. Vous l’aurez compris, la création d’une ligue supranationale propose davantage de problèmes que de solutions.
En décembre 2020, le président de l’UEFA, Aleksandar Ceferin, balayait d’un revers de main l’idée d’une ligue yougoslave. “Si nous faisons des ligues régionales, il est plus réaliste pour la Croatie, la Slovénie et d’autres pays d’être dans une ligue, et la Serbie avec d’autres pays dans une autre“, avait-il affirmé pour “Informer”.