Aucune autre activité que le football peut se prévaloir d’être une bouffée d’oxygène en temps de guerre. Ce fut le cas en Serbie, lors de l’opération « force alliée ». Un long raid mené en 1999 par les pays occidentaux, les États-Unis en fer de lance, pour empêcher un nettoyage ethnique sur les Albanais au Kosovo. Si on sait aujourd’hui, grâce notamment au travail de l’historien Jean-Arnault Dérens, qu’aucun génocide n’était planifié, la chose était moins évidente, à l’époque, pour « l’opinion publique ».
Devant la diabolisation faites du peuple serbe, et les horreurs subies par les civils dans ces temps troubles, certains footballeurs se sont engagés. De manière symbolique, ou par l’organisation de matchs caritatifs, mais toujours dans un seul but, transmettre un message de paix au monde entier.
Le 19 mars voit la fin de la conférence de Rambouillet. C’est durant cette réunion entre puissances occidentales, Russie, Yougoslavie et l’Albanais Hashim Tachi (ndlr : représentant de l’UCK) que se précise la nature de l’intervention. Il s’agira de frappes aériennes. Devant l’inévitable désastre humain qui se profile en Serbie, l’ensemble des championnats se mettent à l’arrêt. La première division yougoslave termine le 20 mars, à la 24ème journée et sacre alors le leader en place, le Partizan.
Le titre sera officiellement décerné le 12 juin, quelques jours après la fin des raids de l’aviation atlantiste. Le second, l’Obilić Belgrade est destitué de sa place d’Européen par l’UEFA. En cause, son propriétaire qui n’est autre que Arkan. Enfin, de manière collégiale, les instances du football serbe font le choix de ne reléguer aucune équipe dans l’échelon inférieur.
Vous me direz alors : « mais pourquoi n’ont-ils pas terminé la saison une fois les bombardements achevés ? ». Tout simplement parce que le pays est plongé dans un embargo économique destructeur, car tout était à reconstruire mais surtout, la population panse ses plaies. La saison suivante reprendra dans les temps, les stades ayant été globalement épargnés. Toutefois, elle se fera sans le FC Pristina, qui déclare forfait logiquement avant le début de la SuperLiga.
Partizan – AEK : la politique de l’espoir
Dans son malheur, la Yougoslavie a aussi ses protecteurs. C’est le cas de l’AEK Athènes, qui en dépit des sanctions internationales et des scènes de guerre courantes à Belgrade, décide de s’y rendre pour disputer un match amical le 7 avril 1999.

Une rencontre qui est davantage politique que sportive. D’abord parce que les ultras des deux clubs sont amis, (ndlr : amitié rompue depuis un Partizan – OM, les ultras de l’AEK avaient bâché avec ceux de Marseille.) et ensuite parce que c’est l’occasion de véhiculer un message fort à l’OTAN. Celui de l’espérance et de la paix dans les Balkans.
C’est aussi un moment propice pour réaffirmer les liens ancestraux qui unissent Grecs et Serbes. Sanctions obligent, il est interdit de commercer avec la Yougoslavie. Encore moins de la financer. Le club grec trouve alors un prétexte solide, l’humanitaire. En effet, un pays sous embargo peut continuer à recevoir de l’aide à une condition, qu’elle relève d’un but purement caritatif. Ainsi, forts de leur excuse toute trouvée, les joueurs de l’AEK s’envolent pour Budapest, avant de rejoindre Belgrade en bus. Si aucune source tangible est capable de l’affirmer avec certitudes, on peut forcement imaginer que le Partizan, et donc indirectement l’État, a profité économiquement de cette venue.
Les Athéniens se sont donc rendus au « JNA Stadion » avec comme épée de Damoclès une possible sanction de l’UEFA. Aussi, le trajet Budapest Belgrade se fera sans aucune protection policière, les rendant vulnérables des bombardements. Un vrai geste fraternel comme il en existe peu.
Environ 25 000 personnes se sont réunies pour assister à cet amical. Des chants à l’encontre de l’OTAN et des États-Unis résonnent à l’unisson, et des banderoles très explicites sont déployées avant le match : « NATO stop the war, stop the bombing » avec une cible au centre symbolisant le peuple serbe. Celle-ci est tenue vigoureusement par les joueurs des deux camps.

On joue alors la 68ème minute, le score de un partout est quasi anecdotique, et les supporters des deux équipes décident d’envahir le terrain. Non pas pour défiler tout nu sur la pelouse, à la manière d’un « striker », mais bel et bien pour remercier les joueurs Grecs ayant pris de gros risques.
Lors d’une interview donnée à la cellule presse de l’AEK Athènes, le défenseur de l’époque Michalis Kasaspis déclarait : « Quand nous sommes arrivés à Belgrade, nous avons immédiatement compris le danger qu’il y régnait. Les sirènes sonnaient tout le temps. » Avant d’ajouter « Notre match amical a eu un énorme impact en Serbie, et je suis fier d’y avoir participé ». Une rencontre qui, pour sûr, restera gravée dans l’histoire du sport serbe.
La mobilisation des joueurs serbes
Ailleurs, à des centaines de kilomètres de la mère patrie, certains footballeurs expatriés en Italie, en Angleterre ou encore au Japon font preuve de solidarité envers les leurs qui souffrent au pays. C’est surement ce sentiment de culpabilité, que tout homme ressent quand il est dans l’incapacité d’aider les siens, qui a poussé à une politisation accrue du gazon vert. Combiné, il est vrai, avec un patriotisme typiquement balkanique.
En Italie d’abord, deux joueurs se sont distingués par leurs messages arborés en marge de matchs de Série A. Il s’agit de Sinisa Mihajlovic et Zoran Mirkovic. Le premier, en marge d’un match Lazio – AC Milan, a revêtu deux t-shirts aux propos significatifs. Le premier, en forme de cible, encore une fois symbolisant le peuple serbe victime du joug atlantiste et le second avec « Peace, Not War » inscrit en noir sur fond blanc. Cette initiative a été suivie par Zoran Mirkovic. Alors qu’il est remplaçant à la Juventus, et donc sur le banc, celui-ci refuse de porter le traditionnel survêtement du club pour un haut aux inscriptions, là encore, sans équivoque : « Peace, no guerra ».

Au Japon, Dragan Stojkovic, milieu et capitaine de Nagoya en première division nippone, arbore-lui un « NATO stop strike » sur son t-shirt blanc. Un message délivré après un but inscrit par le Serbe.
En Angleterre, Sasa Curcic a complètement délaissé sa carrière de footballeur professionnel pour ses idéaux politiques. Lors des bombardements à Belgrade, le joueur refuse tout simplement de s’entrainer avec l’équipe première de Crystal Palace et campe quasiment jours et nuits devant Downing Street, la résidence de Tony Blair, premier ministre de l’époque.
Tout cela, bien évidemment, pour contester l’intervention de l’OTAN en Serbie. En marge d’un match de son équipe, le 26 mars, celui-ci refuse de prendre part à la rencontre et proteste sur le bord du terrain avec le drapeau yougoslave orné d’une pancarte dénonçant les incessants raids aériens meurtriers. Même le Brésilien Romario ira de son geste avec son haut où était écrit : « Peace in the world ».
Une grande opération de lobbying pro-paix, qui n’aura pas les effets escomptés, puisque cela n’empêchera pas l’intervention militaire en Yougoslavie. Toutefois, l’intérêt que porte des « stars » pour leurs concitoyens d’en bas restera là aussi gravée dans les mémoires. Ces épisodes montrent comment le football peut se révéler être une arme de contestation politique majeure, pour des individus bâillonnés par certains médias occidentaux.