©Yugopapir

À l’intersection entre deux générations talentueuses, la république socialiste a les armes pour réaliser un parcours honorable. Toutefois, un contexte politique pesant va ajouter de la pression à une sélection qui s’apprête, sans le savoir, à disputer sa dernière compétition internationale.

Ce ne sont plus 23 Yougoslaves, mais des Bosniaques, Croates, Slovènes, Macédoniens, Serbes et Monténégrins, arrivant en ordre dispersé, qui vont cohabiter ensemble pendant un long mois. 

Le 3 juin 1990, la sélection yougoslave reçoit les Pays-Bas dans le stade Maksimir de Zagreb. Au moment des hymnes, le « Hej, Slaveni ! » est conspué et les joueurs sont insultés. Le nom de Zvonimir Boban, absent du rassemblement et récemment célèbre pour son coup de pied asséné à un policier le 13 mai 1990, descend des tribunes.

Contexte pesant et débuts difficiles

Circonspects, les Bataves finissent par s’imposer 2-0. Dans le pays du défunt Tito, les idées nationalistes et sécessionnistes commencent à prendre de l’ampleur. Les hommes d’Ivica Osim s’apprêtent à défendre, en Italie, des couleurs laissées à l’abandon. Sauf exploit, la Yougoslavie devra disparaître, mais cet exploit, personne n’en connaît la nature.

La rencontre inaugurale éloigne la « Plavi » d’un rêve de beau parcours. « L’Ours » Osim aligne une composition très offensive, où Susic, Stojkovic, Savicevic et Vujovic sont titularisés. L’équipe, teintée d’individualisme, prend l’eau et se fait balayer par la collective Allemagne (4-1), emmenée par Matthaus et Klinsmann. 

Autour de la sélection, les esprits vont commencer à s’échauffer. La presse belgradoise colporte l’image d’un sélectionneur alcoolique, qui empilerait les bouteilles de whisky. Vexé, ce dernier effectue ses conférences de presse en Français tout au long de la compétition. La presse ? Dragan Stojkovic l’utilise pour régler ses comptes. « Comment voulez-vous que j’y arrive seul ? Mes partenaires ne m’ont quasiment pas donné de ballon » déclare-t-il après la rencontre face aux Allemands. Quant à la fédération, elle préfère ne pas réagir, alors que ses hommes auraient bien besoin d’être soutenus. L’esprit de groupe, cher à Didier Deschamps, est loin d’être présente.

Malgré cette ambiance hostile, la Yougoslavie va finir par sortir des poules. Le second match face à la Colombie est remportée sur la plus petite des marges. Safet Susic lance Davor Jozic a l’entrée de la surface, qui contrôle de la poitrine avant de reprendre de volée. Le score aurait pu être plus lourd, si Faruk Hadzibegic n’avait pas raté son pénalty face à l’excentrique Higuita. Une précision qui aura son importance par la suite. Quant aux Émirats Arabes Unis, ils n’ont pas résisté très longtemps (4-0). Pour autant, il n’y a pas de quoi dissiper tous les doutes avant un huitième de finale face à l’Espagne, qui s’annonce difficile.


Et Stojkovic devint « le Maradona de l’Est »

Les numéros 10 ont leur part de génie, et leur part de nonchalance. Le natif de Nis a montré son moins bon côté depuis le début de la compétition. Ses déclarations après le premier match, entourées par des rumeurs persistantes, laissent même à penser que Stojkovic est en froid avec son supérieur hiérarchique. Pas de quoi le priver d’une place de titulaire pour un huitième de finale de Coupe du Monde.

La « Roja » tient le ballon et se veut dominante, mais reste stérile face à un Tomislav Ivkovic peu inquiété. Chaque équipe à ses occasions mais ne parvient pas à se montrer dangereuse. Toutefois, un joueur se fait remarquer, et il joue en blanc. Très mobile, Dragan Stojkovic ne cesse de lancer ses coéquipiers dans la profondeur et de jouer de sa technique pour orienter le jeu. En vain, jusqu’à la 77ème minute, où la rencontre s’emballe. Zlatko Vujovic est lancé par sa défense et élimine un Ibérique.

Du moins, il s’élimine seul en ratant son tacle. À l’entrée de la surface, il adresse un centre à l’élégant Srecko Katanec, qui n’arrive pas à contrôler le ballon. Heureusement, Stojkovic est à la réception au second poteau, complètement oublié par la défense adverse. Après avoir feinté une reprise de volée, « Piksi » contrôle tranquillement le ballon et ajuste Andoni Zubizarreta. L’occasion de prendre dans ses bras son sélectionneur, afin de faire taire les rumeurs. Il reste peu de temps avant le coup de sifflet final, et la Yougoslavie tient son exploit.    

©Who all the pies

Seulement, quelques minutes plus tard, Martin Vasquez adresse une passe millimétrée à l’entrée du but pour Salinas, qui n’a plus qu’à pousser le ballon. Les deux équipes vont aux prolongations. Le théâtre d’un nouveau coup d’éclat.

À environ 25 mètres de la surface, Stojkovic marque un superbe coup franc enroulé, qui passe au-dessus du mur, pour donner la victoire aux siens. L’optimisme est de retour chez les quelques supporters présents en tribunes, qui agitent à nouveau les drapeaux yougoslaves. Dragan Stojkovic se révèle aux yeux du monde, et va pousser Bernard Tapie à débourser 49 millions de francs pour se l’offrir. Quand on sait que le dirigeant de l’OM a raté le recrutement de Maradona la saison précédente, on connait le nouveau surnom de « Piksi ».


La mise à mort

En ce 30 juin 1990, le quart de final contre l’Argentine s’annonce âpre. Dans le stade « Artemio Franchi » de Florence, le mercure dépasse les 30 degrés. En face, c’est une petite albiceleste qui se présente, qualifiée en tant que 3ème de sa poule. Pour autant, quand Maradona y joue, tous les scénarii sont possibles. Une fois le coup d’envoi donné, le ton de la rencontre est donné. Les Argentins sont loin de proposer un jeu attrayant.

Ils multiplient les coups et livrent une véritable guerre physique. Le piège est tendu. À la 31ème minute, Refik Sabanadovic est exclu suite à une seconde faute sur « El Pibe de Oro ». Rien de violent, mais suffisant pour déséquilibrer le petit homme. Pas de quoi décourager les « Brésiliens d’Europe », qui multiplient les offensives et laissent parler leur technique. L’autre Maradona, celui de l’est, se démultiplie pour proposer des solutions.

Jozic, Stojkovic, Susic et Savicevic s’essayent tour à tour, sans parvenir à faire fléchir l’Argentine. Lors des prolongations, le couperet tombe. Basualdo frappe, mais Ivkovic ne parvient pas à capter le ballon. Burruchaga rôde, chipe le ballon au portier, et marque. Heureusement pour la « Plavi », l’assistant lève le drapeau pour un hors-jeu. Un peu de répit, avant le coup de sifflet final, et une séance de tirs aux buts.

Nouveau coup de théâtre. Ivica Osim décide de quitter le terrain, prétextant que « les penalties c’est l’inconnu, la technique ne compte pour rien ». L’expérimenté Susic prend les choses en main, et décide de transmettre la liste des tireurs aux arbitres. Stojkovic est le premier Yougoslave à s’élancer. Epuisé, il envoie une mine qui s’écrase sur la transversale. Son alter-ego ne fait guère mieux. Hué par le stade « Artemio Franchi », le Napolitain frappe avec hésitation. Ivkovic a le temps de s’interposer.

Prosinecki puis Savicevic transforment leurs pénaltys sans trembler. Brnovic loupe le sien. Il confie à Hadzibegic la lourde tâche de décider de la poursuite de la séance. Les cœurs battent très vite, trop vite. Notamment pour le défenseur bosniaque. Comment ne pas penser au pénalty manqué face à la Colombie ? Comment ne pas ressentir le poids de tout un pays sur ses épaules ? Difficile de garder les esprits clairs. Peu de temps après avoir posé le ballon, le défenseur s’élance et frappe à droite. Malheureusement, Goycochea s’étend parfaitement et qualifie les siens. C’est fini, la Yougoslavie est éliminée avant le dernier carré, et un bout de son âme reste à Florence pour la postérité.

©Al Jazeera Balkans

Ce pénalty, Hadzibegic doit encore y penser aujourd’hui. Il est l’objet d’un livre de Gigi Riva, qui retrace le parcours de la Yougoslavie pendant cette Coupe du Monde. « Ah ! Si vous l’aviez marqué ce pénalty… Peut-être que le destin du pays aurait été différent ! » lui souffla un douanier serbe dans le « Dernier Pénalty ».

Une petite phrase qui revient souvent aux oreilles de l’ancien défenseur bosniaque, comme si un simple jeu, un simple ballon, un simple tir, avait le pouvoir de recoller les morceaux d’une Yougoslavie profondément fracturée. « Dans deux ans, la Yougoslavie gagnera la Coupe d’Europe. Si elle n’explose pas, si on s’occupe d’elle, si on la soutient. Mais je sais déjà qu’il n’en sera rien, c’est le pire qui arrivera ». Juste après l’élimination des siens, Ivica Osim avait vu juste. Les politiques ne voulaient plus cohabiter ensemble dans ce pays, et Hadzibegic ne pouvait rien faire contre cela.

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