Ce fait est peu connu en dehors des frontières de l’ex-Yougoslavie. Pourtant, l’ancien président croate a occupé de hautes fonctions au sein du club de l’armée yougoslave. Pendant longtemps, son importance dans l’histoire « crno-beli » a été recherchée, débattue et contestée.
Avant de devenir un dissident nationaliste et révisionniste, Franjo Tudjman était dans les rangs communistes. Il est âgé de 19 ans lorsqu’il rejoint, en 1941, les Partisans emmenés par Josip Broz. 18 ans plus tard, il devient le plus jeune général de l’armée titiste. Parallèlement à sa carrière militaire, il intègre en 1954 le JSD Partizan, l’association sportive au sens large, dont il devient secrétaire général, puis président de 1958 à 1960. Une ascension fulgurante pour celui qui prônait un club pan-yougoslave, n’excluant aucune communauté parmi les différentes fédérations.
Assainir la rivalité sportive
L’arrivée de Franjo Tudjman au Partizan coïncide avec une volonté du pouvoir communiste de calmer les tensions qui existaient entre les nouveaux clubs créés, notamment avec l’Étoile Rouge. Tandis que les « crno-beli » étaient constitués en partie de membres du KOS (contre-espionnage), les crveno-beli possédaient des membres de l’UDBA (police politique) en leur sein. C’est tout logiquement que la rivalité entre ces organisations s’est répercutée sur le plan sportif.
Josip Manolic, premier chef du gouvernement de la Croatie indépendante, expliqua ce fait pour Vecernji list.
« Il y avait des malversations financières lors d’achats de joueurs. Il y avait une concurrence malsaine et des conflits, les joueurs étaient arrachés à divers clubs. […] Le pire, c’est que des membres du SKJ (NDLR : Ligue des communistes) étaient impliqués ! Le pouvoir avait estimé qu’une escalade avait été franchie dans le conflit entre les membres du Partizan et de l’Etoile Rouge. C’est ainsi que, par l’intermédiaire de Gosnjak (NDLR : ministre de l’intérieur de l’époque), Tito installa le général Tudjman au Partizan, pour calmer la situation et empêcher de nouvelles confrontations entre les membres du KOS et de l’UDBA. »
Bons nombres de mythes sur ses actions réelles
Pour autant, beaucoup de zones d’ombres sur sa présidence ont longtemps été entretenues, conduisant à des imprécisions et à des mythes. Notamment, une rumeur songeait que le jeune général avait participé à la création du club en 1945. Un coup d’œil rapide aux archives suffit à démonter cette affirmation. Le Partizan fut formé par des officiers de la JNA, l’armée populaire yougoslave, et quelques vétérans de l’armée yougoslave. Une lettre écrite par Petar Dapcevic, un des fondateurs du club, à l’occasion des 40 ans du club en 1995, détaille les raisons pour lesquelles la formation a eu lieu, et le nom des six autres fondateurs. Aucune trace de Franjo Tudjman, alors âgé de 22 ans à l’époque.
Le fait d’armes principal de sa présidence reste le changement de couleurs et le passage au noir et blanc. Auparavant, les joueurs arboraient un maillot bleu et rouge, cette dernière couleur symbolisant le communisme. Cependant, si c’est bien le président qui a ratifié ce changement, il serait faux de dire qu’il émane de sa volonté. En effet, l’idée lui a été soufflé par Stjepan Bobek, légendaire attaquant yougoslave. En 1957, à l’occasion d’un tournoi en Amérique du Sud, l’équipe belgradoise a disputé une rencontre face à la Juventus Turin. En cadeau suite à la belle prestation des yougoslaves, le club Italien leur offrit deux jeux de maillots. L’ensemble des joueurs trouvant une certaine élégance à la tunique noire et blanche, ils demandent à Bobek d’en référer à leurs supérieurs. En février 1958, les couleurs noires et blanches ornent le logo du Partizan. Les dirigeants « crno-beli » justifient ce choix par la volonté de créer une identité unique à l’équipe.
Une importance très relative dans l’histoire du club
Encore aujourd’hui, nombreuses sont les personnes qui tentent de pondérer l’importance de son passage au Partizan. Zeljko Pantic, journaliste pour la chaine officielle du club belgradois, a sorti du grenier un livre de 1970 retraçant les 15 premières années des « crno-beli ». Dans une vidéo facilement trouvable sur internet, il étaye sa pensée : ” Franjo Tudjman est surestimé dans l’histoire du Partizan. S’il lui a donné les couleurs noires et blanches, sachant qu’il était un fonctionnaire communiste, il n’y avait pas de raisons qu’il ne reçoive pas de remerciements dans ce livre, et cela montre à quel point il était sans importance dans l’histoire du Partizan”. Il est vrai que Tudjman ne fait pas partie des présidents emblématiques du club. Peu interventionniste, il n’est resté que deux ans en fonction. Pendant sa période de présidence, la section football n’a gagné aucun titre majeur. Ce n’est qu’après après son départ en 1960 qu’émerge la génération des Partizanove bebe, qui remporte quatre championnats de Yougoslavie et accède en finale de la Coupe des Clubs Champions en 1966.
Cependant, cette minimisation a également un lien avec ses futurs engagements politiques. Artisan de l’indépendance de la Croatie, il n’aura cessé de minimiser le nombre de victimes serbes au sein du camp de concentration de Jasenovac, tenu par les croates oustachis durant la seconde guerre mondiale.
Qu’on se le dise, l’ancien président de la Croatie n’était pas un fervent supporter du Partizan. « Quand il était à Belgrade, il m’a dit qu’il supportait le Dinamo [Zagreb]. Il n’a jamais supporté le Partizan. Il n’assistait pas souvent à nos matchs » déclara Bobek pour le média serbe Kurir. Selon Josip Manolic, « Tudjman a réussi dans sa tâche, ce qui a été un plus dans sa future carrière militaire. » L’histoire montrera plus tard, lorsqu’il se rapprochera des Bad Blue Boys et qu’il renommera le Dinamo Zagreb en Croatia Zagreb que Franjo Tudjman a utilisé le football pour grimper dans l’échiquier politique.